« Comprenez-vous ce que je viens de faire ? » Cette question s’adresse à nous ce soir. Comprenons-nous ce que Jésus vient de faire. Quand nous lisons un passage d’évangile, nous retenons les Paroles du Christ en négligeant parfois ses gestes, ses attitudes, ses comportements. Or ce passage du chapitre 13 de l’Evangile de Jean est riche en comportements observables. Alors observons !

            « Au cours du repas – Jésus se lève de table – il quitte son vêtement – met un linge à sa ceinture –puis il lave les pieds de ses disciples »

            Retenons ces trois verbes d’action correspondant à trois attitudes :

Se lever de table, quitter son vêtement, laver les pieds

 Tout cela se passe au cours du repas.  Celui de la Pâque juive. C’est le repas au cours duquel les Juifs commémoraient, se souvenaient, faisaient mémoire de l’événement de leur libération de l’esclavage en Egypte. C’était donc un repas de fête où l’on remerciait Dieu d’avoir pris pitié de son peuple.

            C’est donc au cours de ce repas-là, partagé avec ses disciples, que Jésus se lève. Il était le maître et le Seigneur, c’est donc lui qui présidait la table. Il n’aurait pas dû quitter sa place, au centre de la table, la place d’honneur. C’est, en règle générale ce que nous continuons de faire lorsque l’on veut honorer celui ou celle que l’on invite à sa table, on le met en face de la maîtresse de maison, puis l’on dispose ensuite à droite et à gauche ceux et celles à qui l’on veut manifester notre estime. L’art de la table est un grand art.

            Jésus va surprendre. Il ne respecte pas les conventions – une fois de plus ! Il se lève.  Il ne reste pas à sa place. Et, deuxième attitude surprenante, il quitte son vêtement. Il ôte son habit pour prendre la tenue des esclaves.  Comble de tout, il ne se contente pas de s’habiller comme un esclave, il fait le travail des esclaves en lavant les pieds de ses disciples. Et là j’imagine assez facilement les bougonnements de Pierre se retournant vers son frère André : « Non mais tu as vu, il a perdu la tête, je ne peux pas le laisser faire une chose pareille, c’est insensé… Il est le Messie, le Saint de Dieu, le Maître et le Seigneur et le voilà à nos pieds comme un vulgaire larbin ! »

            Pierre en est là de ses remarques quand Jésus arrive devant lui. Il proteste mais finalement se laisse faire ! Sans doute, dans le regard de Jésus, commence-t-il à percevoir que la Toute Puissance de Dieu passe par ce chemin d’abaissement. Chemin qui a commencé à l’Incarnation, qui est déjà passé par bien des humiliations et se terminera sur la Croix.

            Jésus institue ainsi le sacrement du frère. On ne devrait pas se permettre de participer à l’Eucharistie, c’est à dire au repas du Seigneur si auparavant on n’a pas pris le soin de faire comme Jésus nous a dit de faire. C’est cela le véritable service de la table du Seigneur !

            Alors, ce soir vérifions : sommes-nous fidèles à l’invitation de l’Evangile :

            Nous arrive-t-il à nous aussi de nous lever de notre place ? C’est à dire acceptons-nous de quitter notre confort, nos habitudes, nos places d’honneur, nos places réservées, nos attitudes guindées, nos positions acquises, notre statut social qui nous place au-dessus de la mêlée ? Oui ! Acceptons-nous de quitter tout cela pour rejoindre ceux qui nous attendent hors des sentiers battus de nos pratiques traditionnelles ?

            Nous arrive-t-il à nous aussi de quitter notre vêtement ? C’est à dire acceptons-nous d’ôter de notre vie tout ce qui nous paraît indispensable à notre bien-être et en réalité n’est qu’accoutrement de pacotille ? Acceptons-nous d’ôter tout ce qui dissimule notre être profond au regard de nos frères ? Oui ! Acceptons-nous de quitter nos « oripeaux somptueux » pour revêtir le simple vêtement du service ? Pour paraître face à Dieu mieux vaut une robe de baptême (même tachée) à une robe de chez Dior !

            Nous arrive-t-il à nous aussi de laver les pieds des autres ? C’est-à-dire acceptons-nous de nous mettre à la disposition de nos frères surtout de ceux que nous considérons comme nos inférieurs, de ceux qui sont les plus pauvres, ceux dont on se moque volontiers, ceux qui ont le plus de difficultés à s’insérer dans la société à cause de la langue, de la couleur de leur peau ? La liste des exclusions est longue, je vous laisse le soin de la compléter.

            Le lavement des pieds, aujourd’hui, dépasse très largement le geste rituel fait une fois par an le Jeudi Saint.Tous les jours nous avons mille et une occasions de refaire le lavement des pieds. Adaptons-le seulement aux us et coutumes de notre temps. Alors nos Eucharisties prendront une autre dimension car nous aurons accompli la parole de Jésus : « Ce que j’ai fait pour vous, vous aussi faites de même » Parole qui a le même sens, la même densité que « Faites ceci en mémoire de moi »